De forts effluves de cannabis planaient mercredi à l'aube dans les rues de Denver, scènes d'attroupements inhabituelles, sur fond de montagnes Rocheuses.
Attendant sagement leur tour devant deux douzaines de dispensaires d'un nouveau genre, des jeunes gens venus des quatre coins des États-Unis faisaient la queue pour participer à un événement historique: la légalisation de la vente de cannabis dans l'État du Colorado.
Une première nationale, et même mondiale, aucun autre État sur la planète n'ayant encore entériné une mesure aussi audacieuse dans le cadre de la lutte antidrogue à l'exception de l'Uruguay, qui vient de voter en ce sens au mois de décembre.
L'État de Washington, dans le nord-ouest des États-Unis, emboîtera le pas au Colorado au courant de l'année 2014.
À 8 heures du matin (16 heures, heure française), la marijuana, ou «pot» pour ses utilisateurs, est ainsi devenue accessible, dans vingt-quatre enseignes autorisées et huit villes de cet État des grandes plaines, aux personnes âgées de 21 ans et plus, en application d'une loi adoptée par référendum populaire en novembre 2012. Évolution logique pour ses promoteurs, la consommation de cette drogue ayant été autorisée en 2000 à des fins médicales (pour maladies incurables mais aussi bénignes, telles que le mal de dos), puis à des fins récréatives.
Les doses autorisées à la vente ne doivent cependant pas dépasser 28 grammes (1 once) par client s'il s'agit d'un résident, et le quart de cette quantité pour les visiteurs de passage.
Scruté au microscope
La révolution est de taille pour cet État plutôt conservateur, qui fut le premier, il y a de cela soixante-dix-sept ans, à appliquer la législation fédérale prohibant le cannabis tout juste adoptée à Washington DC (1937). C'est à Denver que fut arrêté cette année-là le premier citoyen américain soupçonné de vendre du cannabis sous le manteau, un certain Samuel Caldwell, âgé à l'époque de 58 ans.
Le saut dans l'inconnu du Colorado, puisqu'il s'agit d'une première, est d'autant plus téméraire qu'il reste en contradiction avec la loi fédérale, qui continue de proscrire toute culture, possession, consommation et commercialisation du cannabis.
En théorie seulement, car le département de la Justice a clarifié sa position en août dernier: vendeurs et consommateurs locaux ne seront pas poursuivis devant les tribunaux fédéraux, à condition que la marijuana reste hors de portée des mineurs, des cartels du crime, «des immeubles fédéraux, des parcs nationaux, des installations militaires et des tribunaux» et du reste du territoire américain, bien qu'une vingtaine d'États aient déjà validé l'usage du cannabis à des fins médicales.
La controverse n'est cependant pas près de s'éteindre entre partisans et opposants de cette législation, les premiers arguant que la légalisation du cannabis permettra de lutter plus efficacement contre le trafic et l'addiction, en économisant des coûts liés aux arrestations et hospitalisations des consommateurs, les seconds dénonçant les dangers pour la jeunesse et redoutant une recrudescence des troubles à l'ordre public. Tout en concédant que le cannabis pourrait s'avérer un vrai filon pour le Colorado, avec un chiffre d'affaires annuel estimé de 578 millions de dollars (420 millions d'euros), dont 67 millions de taxes (48 millions d'euros) dans l'escarcelle des autorités locales.
«Nous savons que le Colorado est scruté au microscope», concède Jack Finlaw, un juriste au service du gouverneur John Hickenlooper. «Personne ne peut dire ce qu'il adviendra dans le futur», renchérit l'avocat général de Denver, John Suthers, selon qui il faudra quelques années pour faire le bilan de l'expérience, après compilation des conclusions dressées par les médecins, hôpitaux et forces de l'ordre du Colorado.
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